Les Poèmes du Moulin

 
 
 
             Extraits de la Revue n° 42 - 1er semestre 2011
           - 3 -

 
 
 
 
 

Ce sont ces grands yeux

Jean-Jacques VRILLAUD



 

 

Ce sont ces grands yeux,
aussi beaux qu’Océans,
qui disent le mieux
tout l’amour de l’instant.
 
Ils ont dans les iris
l’image des bonheurs,
et les flashs qui réjouissent
et ravissent les cœurs.
 
Ils ont dans les rétines
la vision paradis
des plages Philippines
où tant belle est la Vie.
 
Ces grands yeux,
aussi beaux qu’Océans,
ceux qui disent le mieux
tout l’amour de l’instant,
sont les yeux de l’enfant.
Mais l’enfance n’a qu’un temps
et les yeux océans
sont bientôt ouragans.

 

 

Complainte de l’homme ivre.
Jean-Bernard PAPI 
 
Novembre a posé ses feuilles
défuntes sur un linceul de givre.
Il est six heures et vers Arcueil
soudain s’affale un homme ivre.
 
L’hiver cette année est trop tôt
commencé. La rue est à la neige
verra-t-on sous le pont Mirabeau
les glaces descendre de Norvège ?
 
L’homme tout crotté se relève
il l’appelle, et ça fait rigoler
les passants. Toujours ce mauvais rêve
qui s’agrippe sous ses paupières gelées.
 
Il hésite - le froid- à deux pas du bistrot
on s’y réchauffe, on y fume, on y boit,
on peut jouer au tiercé, au loto
c’est comme à la Closerie des lilas.
 
Lui se souvient d’un soir à l’Olympia
jamais il n’avait vu fille si jolie
ce fut comme un claquement de doigts
depuis il cherche dans tout Paris.
 
Bistrots havres de tous les repos
si elle passe chez vous, elle est blonde
et jolie, dites-le moi, rien qu’un mot
pour elle, j’irais au bout du monde.
 

 
 

Danielle SIRON

Aube fébrile
Le temps, jeune encore, frémit
sous la fraîcheur de la source vive
Ardeur, audace du ru
agile dans l’ombre puis apaisé
mariant ses eaux avant la chute
vers la béance de la Terre.
Clameur immense, ou chant d’extase
Déluge d’énergie pour pénétrer le goulet
Union de deux héritages
Et enlacée à ce bruit continu
la promesse du large.
_____

Bien au-delà des nues ...

Anne-Marie DUTILH 


 
 

Bien au-delà des nues
Les oiseaux d'ombre des nuits sourdes
Ont posé leurs cris rauques
Sur les chicots des cimes désenfantées
Le lierre s'envoute
Appendance au spasme du temps
Lorsque médite au philtre des buis
Le clapotis frileux des vertiges
Et que s'épuise la nuit
Au fronton des rêves salis
Au chœur pastoral des pierres
Tout est éphémère
Berceau de l'aurore
Jusqu'à poussière enfin parvenue
Et le rideau se lève sur l'espace
Des friches de vie désertique
Bien au-delà des nues ...
Bien au-delà des ciels lapidés ...
 
Lorsque la vie se tait…

Recueil Affinité, Éd. L’Écritoire du Regain

 
 
 

Regardez ailleurs…
Fanny SHEPER

 
Comme elles sont belle mes rues
Quand elles sont traversées
Par des âmes nues
Quand elles sont éclairées de l’intérieur
Vibrantes et vivantes !
Quand elles sont libres et si gaies !
 
Voilà, c’est l’heure où 
La brume s’est répandue
Et pèse sur nos cœurs
L’âcre odeur 
De cette mère délirante
Aux bras lourds comme des enclumes
_____

Le bain du soir

Maryse Abran-Pengrech

 
 
Dans cette nudité que le soir poétise,
À l'heure où de ses maux se libère le corps,
Mon âme réinvente, étrangère à dehors,
Les roses de l'amour que le rêve courtise.
 
Effluves de vanille en mes cheveux mouillés,
Frémissements fondants de mousse parfumeuse
Dont court, à fleur de peau, la volupté charmeuse, 
Assaillent alentour les plafonds réveillés.
 
Arrachée aux torpeurs du temps crépusculaire,
Tout à coup ressaisie, esquissant un frisson,
Du bain froid je m'extirpe, aux lèvres une chanson
Pour chasser de ma gorge un semblant de colère.
 
C'est alors qu'il paraît, tel un ange gardien,
Se livre à mon passage à quelque turpitude,
Puis l'œillade câline, et plein de gratitude,
S'endort sur mes genoux, béatement : mon chien...
 
 
 
 

 

 

 

Des codes délicieux
par Erich von NEFF

 

 

  Pendant la Seconde Guerre mondiale mon grand-père
  allumait de temps en temps les ondes courtes

  de sa radio Strornberg-Carlson

  On transmettait des codes à travers les airs
  On transmettait des codes à travers l'éther

  On recevait des codes sur nos navires au large
  On interceptait des codes chez les Japonais

  Ils avaient pour moi un son menaçant

  et effrayant

  Le 25 novembre 2009
  J'ai rencontré Jean Beyer,

  qui émettait des codes pendant la Seconde Guerre                                  mondiale

  elle m'a dit, avec une lueur dans les yeux:

  « La nuit, je tapais des codes délicieux

  sur le dos de mon mari : »

  Des codes qu'on ne transmettait pas à travers les airs
  Des codes qu'on ne transmettait pas à travers l'éther
  Des codes qu'on ne recevait pas sur nos navires au large
  Des codes qu'on n'interceptait pas chez les Japonais
  Des codes qui n'étaient pas menaçants

  Des codes qui n'étaient pas effrayants

  Des codes délicieux

 

  qu'elle tapait sur le dos de son mari.

Attente

Jean-Marie SOURGENS

À Saburo SUZUKI
 

J'ai connu des attentes innombrables
au fond des longs corridors du rêve
égaré dans la salle des pas perdus des mots
j'ai souvent guetté le retour des trains du passé
et la descente empressée des voyageurs du temps.
  Sur les quais de ma vie balayés par la pluie
parfois j'ai retrouvé des amours de passage
que je n'ai pas toujours souhaité reconnaître
interroger sur leurs souvenirs déçus
malgré leurs gestes tendres leurs sourires.
Et maintenant, à l'instance d'un inévitable départ
que mon âge déjà avancé m'invite à redouter
je peigne avec sérénité la lente chevelure des jours
après avoir tenté de transformer mes insomnies en poèmes.
 

_____

 
 Jean-Luc LAMY





À seize ans,
Un Africain,
Qui voit tomber la neige,
pour la première fois de sa vie,
il tend les deux mains,
et il dit :
c’est couillon la neige.
 

janvier 2010

 

 

 

 

 

 

    

             
                   
             
Communion en forêt
Philippe VEYRUNES
 
 
 
Il vous l’avait proposé la veille, en vous croisant dans l’escalier de sa villa, tandis que vous rejoigniez votre famille à l’étage. Le ton était jovial, l’invite sincère, nullement dictée par les convenances. Vous y aviez deviné pêle-mêle l’envie de rompre la solitude des sorties matinales, la certitude de réjouir son aimable locataire et l’orgueil bon enfant de faire voir du pays à un estivant modèle. A la fin du dîner, entre fromage et dessert, vous aviez recueilli l’accord amusé des vôtres pour cette escapade dès potron-minet.
A présent, le long du chemin en bout de village, vous calquez sagement vos pas sur ceux de votre guide. Au fil des minutes, la maison de vacances s’efface derrière vous, par-delà les sapins qui vont masquant jusqu’au clocher de l’église.
Votre propriétaire, à l’entame de cette forêt à flanc de montagne, entr’ouvre de quelques mots le tiroir des secrets. Lisant l’appel d’un geai dans ce cri au milieu des branches, la fuite d’un chevreuil dans ce froissement d’arbrisseaux. Baptisant fleurs et plantes au détour du sentier. Démasquant un renard dans ces empreintes sur le talus. Science bienvenue, qui balise la promenade et pimente vos dialogues.
Pour ne pas être en reste, vous rameutez du Midi châtaigneraies et pinèdes, leurs mérites et leurs mystères; tressez de souvenirs quelques comparaisons; conviez un moment le chant des cigales.
Dans le silence douceâtre qu’effleurent leurs pas, deux promeneurs au diapason dégustent pour une heure la forêt vosgienne. Le petit jour, alentour, dentelle pour eux seuls l’ombre des sapins.


 




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